Efthymiou Loukia
Université nationale et capodistrienne d’Athènes
Paris en guerre : mutations de l’espace urbain au prisme du genre pendant la Grande Guerre
Ville de l’arrière, Paris n’en voit pas moins sa physionomie se métamorphoser pendant la Grande Guerre par une féminisation conquérante du territoire qui fait éclater des frontières et des cloisons : les hommes partis au front, les femmes envahissent progressivement la cité, pénètrent maintes espaces réservés jusque-là à une homosociabilité masculine et rendent ainsi les dichotomies et les polarisations spatiales traditionnelles et sexuées caduques. La nouveauté de la géographie professionnelle notamment est totale et éclatante et s’affirme en interaction avec la modification des rôles féminins.
Ce remodelage sexué du paysage urbain nécessite de la part du gouvernement, des syndicats et du patronat une nouvelle approche de la gestion de l’espace public dans un souci d’encadrement des évolutions en cours. Cristallisant les appréhensions et les résistances d’une société en guerre, les politiques interventionnistes engagées visent, d’une part, à réglementer, à organiser, voire à normaliser cette nouvelle réalité spatiale aux répercussions plurielles et, d’autre part, à garantir son caractère temporaire associé à l’anormalité du moment.
En effet, à la fin de la guerre il paraît évident que le partage sexué du territoire urbain d’avant-guerre sera rétabli : la ville paisible se devait de se réorganiser autour de lieux dédiés et séparés.
La présente communication, qui relève certes de la problématique de la «ville en crise», se propose, par surcroît, d’explorer, à travers le cas exemplaire de Paris dans le conflit 14-18, la complexité – inhérente à la perspective genrée – d’une vision plus globale qui associe au moment «guerre», espace et visibilité sexuée. Il s’agit de montrer comment l’interaction de deux outils conceptuels d’évaluation des mutations – la crise et le genre –, en fonctionnant comme cadre de compréhension et d’interprétation transversales des dynamiques et des tensions urbaines, peuvent enrichir ou même renouveler l’approche de l’histoire des villes.